mardi 1 juillet 2008

La Dispute


L'appartement est situé en rez-de-chaussée sur une jolie cour. C'est un joli appartement avec un patio qu'elle a fleuri avec soin. C'est leur nid comme elle aime à le dire. C'est meublé avec soin, avec chaleur. Le mobilier est ancien et chaque chose semble avoir un passé. Chaque objet est à sa place. Il y a beaucoup de livres. Elle aime les livres. Elle les empile avec soin, comme une collection. Il n'y a ni hardiesse ni ostentation dans la décoration. Tout semble choisit avec soin, avec "amour"… L'air de rien tout est précis, ordonné, accueillant. Cet appartement lui ressemble. 

Tout est calme. Il fait bon. La chaleur est enfin retombée, un léger vent s'est levé. Enfin… Cette chaleur elle ne la supporte pas. Cela la met à fleur de peau. Cela la rend fragile, vulnérable. A bout de souffle. A bout d'envies…


C'est l'été. Il fait encore jour. C'est une journée de juin où les soirées sont longues et agréables. Elle se sent mieux. Elle respire enfin. Et pourtant l'atmosphère est pesante, encombrante, oppressante. Quelque chose va arriver ce soir, quelque chose va se jouer, elle ne sait pas quoi, elle ne devine pas. 

Elle l'attend. 

Elle. 
Elle est grande, mince élancée. Rousse. Encore jeune. Elégante. Amoureuse. Elle n'est pas vraiment belle. Il se dégage pourtant d'elle une douceur et une féminité qui attirent les hommes. Elle aime prendre soin d'elle pour elle, pour lui. Il est son tout, son homme, son amour, le seul. 

Elle l'attend. 

Lui. 
Il est beau, un peu plus vieux qu'elle. Son corps est celui d'un homme. Ses mains aussi. Elles sont faites pour l'amour. Ses yeux sont rassurants. Il est de ses hommes protecteurs qui aiment les femmes comme elle, fragiles, perdues. Il les sécurise. Ils les aiment, les écoutent. Dès le début elle a été attirée. Il le sait. Il en joue. Il a le pouvoir. 

Elle s'occupe. Elle prépare leur soirée. Il va rentrer, fatigué. Tout ça c'est pour lui. Pourtant elle semble accablée, lasse, mélancolique, vieille. 
Ses gestes sont lents, confus. Ses yeux sont humides. Elle se ressaisit. Et pourtant, elle sait, elle sent… quelque chose ne va pas. Elle suffoque. Son esprit vagabonde. C'est plus fort qu'elle. Elle goûte cette colère qui la gagne. Elle l'aime. 

Elle l'attend. 

Il franchit le seuil. Il est radieux, comblé. Ne se doute de rien. La retrouver chaque soir. Boire un verre, parler, se taire. Ils aiment leurs silences. Ils n'en ont pas peur. Ils s'aiment. Ils sont bien. Heureux. 
Il la rejoint. Elle est terriblement belle. Elle a pleuré. Ses yeux brillent. Il la regarde, s'approche, tente un geste, doucement. Il est tremblant, frileux. Il ne la reconnaît pas. Elle s'écarte. C'est la première fois depuis qu'ils se connaissent qu'elle fuit. La tension entre eux est insupportable. 

Lui : Bonsoir mon Amour… 

Elle replie ses genoux sous son menton, regarde ailleurs, allume une cigarette. Le silence s'installe. Il a peur. Que cherche-t-elle ? Il ne connaît pas ce regard. Elle ne l'a jamais repoussé. 
Elle sait qu'elle vient de lui faire mal. Elle en éprouve une forme de jubilation, de satisfaction. Elle esquisse un sourire. Elle a compris ce qui la gêne depuis la fin de la journée. L'ennui. Cet ennui, cette attente qu'elle ne supporte plus. Elle voudrait hurler, le provoquer. Etre en vie. Elle veut le provoquer. Elle veut des cris, de la colère. Alors elle soupire. Il est désarçonné. Elle l'aime encore plus. Il a ce regard enfantin. Il a peur. Elle se sent puissante. Elle se sent belle. Et pourtant elle avance à l'aveuglette. Ne sait absolument pas où elle va ni ce qu'elle espère de cette soirée. 

"Elle m'en veut voilà ce qu'elle a", se dit-il. Les cris, les effusions, lui, il déteste ça. Il a envie de fuir. Mais il est attiré par cette femme, sa femme. Il cherche son regard. Tente un baiser. Il se sent maladroit, brutal. Elle semble jouir de la situation. Elle est belle, terriblement excitante. 

Elle le repousse. 
"Quel idiot. Les hommes sont des imbéciles. Un baiser, une nuit d'amour ne répare pas tout". Réparer quoi ? Elle ne sait pas. Elle n'a aucun grief contre lui. C'est à elle qu'elle en veut. Son ennui elle le crée, l'encourage. Elle ne lutte pas contre. Sa lassitude n'a rien avec eux, avec lui. Elle le sait. Elle l'observe. Il se torture. Cherche ce qu'il a pu faire. Il veut réparer une faute qu'il n'a pas commise. Elle aimerait le rassurer, le prendre dans ses bras. Mais non… Elle ira au bout de tout ça. Elle veut de la vie dans son appartement si bien rangé. Elle veut de l'hystérie, de la passion. Elle veut le blesser, lui faire mal. 

"Je t'en prie… Dis moi ce qui ne va pas... Je … ". Il souffre de la voir si perdue, si hagarde. Elle est une autre, si différente, si ravissante, fascinante. Il se sent prêt à tout pour cette femme. Sa maîtresse, sa bien aimée. 

Elle sait qu'elle a gagné. Il est pataud, timide, hésitant. Fragile. 
Elle sait et elle savoure ce silence. Car c'est désormais inévitable. Elle ne peut plus revenir en arrière. Elle le regarde, ses yeux sont noirs de colère et de désir. 

Tout n'est plus qu'évidence. 
Ils vont avoir leur première dispute et elle le laissera gagner…

3 commentaires:

Elle a dit…

Magnifique. Poignant et tellement plein de vérité. Merci.

Mamzelle Simone a dit…

Merci à vous de m'avoir lu...

Anonyme a dit…

Comme le dit le commentaire précédent : Poignant. J'aime. C'est... Waouh. J'ai la sensation de lire une pancarte descriptive de la porte de mes voisins... Comme si je sentais à présent ce qui peut se passer chez eux. Parce que ça semble tellement réel. Tellement vrai.
Vraiment, c'est beau. Cette façon d'écrire, cet 'histoire', me rappellent ces bouquins qui ont pour couverture la photo d'une femme perdue, sur un fond blanc ou blanc cassé...
Quoi qu'il en soit, j'aime énormément :)