jeudi 4 décembre 2008

Elle est jolie...

… si jolie.

De grands yeux bleus, un visage en ovale, pâle. Des cheveux courts à la garçonne, bruns. Elle n’est pas très grande, menue dirait-on. Ravissante.

Petite déjà c’était elle « la plus jolie ». On trouvait sa sœur « intelligente » ou « vive », elle, elle était « jolie ». En grandissant, elle les entendait… « Elle est mignonne et ses yeux vous avez vu ses yeux… ». Et elle, elle se disait « oui deux, j’ai deux yeux… » et elle souriait. Comme elle sourit toujours, intérieurement, ironiquement. C’est pourtant un large sourire, sincère, enivrant. Qui ne laisse rien transparaître. Aucune moquerie.
Ou alors elle rit, de ce rire communicatif qui peut déclencher une salle entière.
Spontané. Puissant.
Ce rire c’est sa liberté. Il lui ouvre le monde. Il fait se retourner les hommes, ils la voient, croisent ce regard si bleu, si doux… C’est un rire qui fait que ces mêmes hommes se disent tout bas que si elle exprime son plaisir de la même façon se doit être un régal… Pour leur ego. Tout est toujours question d’individualisme, de narcissisme avec les hommes… De compétition…

Elle le sait, elle l’a toujours su. C’est son quotidien.

Cela masque pourtant un certain mal être. Mais ils ne le devinent pas…
Comment pourraient-ils ?

C’est un rire masculin, sensuel, un peu rauque, comme sa voix. Une gaîté qui les attire, qui leur donne envie de badiner, de plaisanter avec elle… De connaître ce rire, d’apprendre ce rire… De la distraire, de l’amuser, de capter son regard… son attention... Juste une nuit… Une minute… La posséder un peu… Jouir un peu de cette beauté. Cela les rendrait beaux eux aussi… Cette femme à leurs côtés un instant.
Pourtant ils n’approchent pas trop près… Ils la contemplent juste, ils la regardent et parfois ils lui sourient mais se détournent…
Elle est si jolie. Trop jolie. Intimidante. Déroutante, désarmante.
Elle est de cette beauté délicate, fragile. Elle semble perdue, pensive. Alors ils ne viennent pas trop près… Ils se contentent de la divertir… Encore et toujours. L’impressionner. Ne pas la décevoir, jamais.
Faire le malin, boire plus que de nature pour oser faire le pitre, pour enfin prendre le risque de la regarder, la fixer et attendre qu’elle baisse les yeux… Car elle finit toujours par fuir ces regards insistants… Ne pas leur laisser croire, ne pas leur montrer, ne pas les encourager. Rester distante, froide, rester jolie et glacée. Malicieuse.

Elle est jolie. Ça leur fait peur.

Ce n’est pas sa beauté qui les effraie. Non c’est ce qu’elle dégage… Cette délicatesse, cette fragilité. Ces grands yeux gris que l’on a peur de faire pleurer. Cette beauté que l’on craint de faner ou d’abîmer. Ce sourire que l’on a peur d’effacer.

Trop de beauté c’est trop de responsabilités pour un homme.

Les hommes préfèrent les autres, les tout aussi jolies, les charmantes mais moins écorchées… Plus solides. Celles qui boivent du vin blanc au bar entre copines et qui attendent. Celles qui veulent un homme. Celles avec qui c’est presque acquis. Celles qui rêvent, qui désirent un homme rien qu’à elles et des enfants. Celles qui ne veulent pas rentrer seules.
Elle, elle ne veut pas d’enfant. Elle ne sait pas pourquoi, c’est comme ça. Elle ne veut pas de mari non plus. Pas d’investissement. Pas d’engagement. Pas de promesse. Pas de souffrance.

Alors ils se tournent vers elles, les autres.
Elles aussi, elles sont très jolies. Mais surtout elles sont là, accessibles, accueillantes, à portée de main, à portée d’amour… Elles ont ce rire cristallin, enfantin de « femme enfant » qui trouble un homme, qui le perturbe, le désarçonne. Ils se sentent uniques. Ils s’enflamment face à ces regards qui disent « je suis à toi », « je t’attendais, tu es celui que je veux ».

Elle, elle ne pense pas ce genre de chose. Elle, elle observe avec défi. Ces yeux, ce minois veulent être séduit et elle ne fera rien pour les aider. Elle aime les voir essayer… et se planter.
Pour se tourner finalement vers la facilité et le bonheur.
Ce ravissement, elle n’en veut pas. C’est mièvre. Ça oblige à creuser, à écouter, à apprendre l’autre et donc à s’ouvrir. Et ça elle ne le souhaite pas. Elle ne veut pas de cette volupté qui finit par faire souffrir. Elle, elle se contente d’être jolie pour eux.
Inaccessible.

Mais finalement elle se le reproche. Alors elle les punit.
Elle n’en laissera aucun la raccompagner chez elle.

Elle, elle préfère « être une des leurs » comme elle dit. Elle joue les mecs pour voiler cette tristesse, pour se rendre moins attirante.
Pour faire partie du décor. De leur décor.
Elle s’assoie toujours au fond, de profil. Ne pas être vue. Ne pas se faire remarquer. Croiser des regards. Se détourner.

Parfois quand elle sort, elle se « fait jolie ».
Elle souligne ses grands yeux de noir, un noir charbonneux qui les rend encore plus beaux, encore plus bleus. Elle découvre ses épaules, juste ce qu’il faut. Aucun bijou.
Elle marche alors avec cet air qui donne l’impression qu’elle est sûre d’elle. Que rien ne lui fait peur. Que le monde est à elle. Ce visage presque trop hautain pour une si petite personne.
On lui sourit, elle est belle. Elle le sait. Son visage s’éclaire, elle leur rend leurs sourires.
Si elle osait elle lancerait un bonsoir… et partirait de ce rire si fort… si moqueur.
Pour un peu elle se trouverait presque jolie… et cela lui plait.

Ils la contemplent. Ils lui sourient. Elle batifole, ne les voie pas. Elle n’a pas besoin d’eux.
Alors ils rient avec d’autres filles. Elle, elle rit avec eux. Cela les désarme. Elle s’en amuse. Elle se moque. Elle en devient complice. Ça la fait sourire encore, toujours.

C’est son droit de femme agréable à regarder… ça les flatte. Ils se sentent courtisés. Elle les observe, ardemment. Mais elle ne luttera pas pour eux. Elle laisse ça aux autres. Elle ne battra pas des cils, elle ne rentrera pas dans ce jeu de la séduction. Non elle joue son jeu à elle.
De temps en temps, elle les trouve beaux, drôles, appétissants… alors seulement elle leur fait croire qu’ils sont désirables, qu’ils sont les rois du monde. Qu’elle pourrait s’intéresser à eux. Poser les yeux sur eux. C’est en son pouvoir.

Elle a cette liberté face à eux. Elle est jolie.
Ce rôle, c’est le sien. Et elle le connaît par cœur. Elle n’a pas besoin de paraître intelligente, futée, cultivée ou subtile. Elle a juste à être piquante, attrayante, avenante, mutine. Alors elle le devient un instant, une heure, une soirée. Elle l’est pour eux, rien que pour eux…
C’est ce qu’ils veulent et redoutent en même temps.

Paraît-elle être ce qu’elle est ou est-elle ce qu’elle paraît ?
Ils ne savent pas. Elle non plus.

Elle est jolie c’est tout. Et finalement ça la rend triste, mélancolique, lasse parfois. C’est fatiguant d’être jolie.
On ne vous pardonne rien.

Mais elle s’en fiche. Elle leur donne ce qu’ils veulent.

De la distance, de la froideur. Elle leur résiste ce qui la rend encore plus captivante à leurs yeux.
Elle aime jouer, se divertir, faire la fête. Elle les séduit l’un après l’autre et ne s’arrête sur aucun. Elle incarne parfaitement son rôle. Elle ne montre d’elle que ce visage si parfait, si séduisant. Le reste est à elle. Cela ne les intéresse pas, ne les regarde pas. C’est son univers à elle et il est loin d’être joli… Pour rien au monde elle ne s’ouvrira à eux…

Elle, elle n’a pas d’amies. Ce n’est rien. La solitude est sa meilleure compagne. Au début cela lui pesait mais elle a appris à vivre avec elle. La jalousie ne permet pas l’amitié. Tout comme les préjugés sur sa beauté. Oui, elle est probablement sotte…

Elle se doit de paraître stupide, elle est jolie, trop jolie.
La bêtise, les autres femmes ça les rassure.
Elle le discerne à leur façon de la dévisager mais elle ne dit rien. Elle ne leur fera pas ce plaisir. Elle se contente de leur sourire gentiment et d’être une ravissante idiote.

Certains soirs d’un simple regard malicieux, elle devient même leur alliée, leur amie, leur soutien…. Face aux hommes. Elle les écoute se raconter. Leurs déceptions, leurs chagrins. Elle les regarde se dévoiler peu à peu… Elle, elle ne se confie pas, ne s’abandonne pas. Elle les observe intensément. Elle devine, elle comprend leurs souffrances. Parfois elle trouve les mots qui consolent… qui rassurent.

Pourtant elle sent bien que les autres femmes aimeraient qu’elle s’excuse d’être belle. Qu’elle s’efface. Mais rien. Elle continue d’être là, juste jolie. Après tout c’est ce qu’elle fait de mieux, être jolie et se taire. Du moins c’est ce qu’elles croient, c’est ce qu’ils pensent.
Et jamais elle ne dément…

Ils risqueraient de la trouver intéressante, intelligente.
Elle est jolie. Si jolie…